Les runes secrètes

Nous avons vu, dans l’article précédent, qu’il existe plusieurs méthodes pour brouiller le sens d’un message runique. Divers procédés digne des cryptographes modernes ont également été utilisés. Découvrons ensemble les runes secrètes.

Crypter le message

Pour crypter tout ou partie d’un message, il existe un procédé simple, connu aujourd’hui sous le nom de procédé de César.

Le message chiffré, ou crypté, s’obtient en remplaçant chaque rune du texte original par une rune à une distance fixe dans l’ordre du fuþark. Il s’agit d’une permutation cyclique du fuþark. La pierre de Rök, notamment, porte un message (inscrit dans le fuþark récent) utilise ce procédé.

On y trouve la formule à plusieurs reprises sakumukmini, dans l’expression sakumukmini þat, qu’il faut lire sakum mukmini þat (« Je raconte le conte populaire aux jeunes hommes », sakum mukmini signifiant « le conte populaire aux jeunes hommes »).

pierre de Rök

Cette expression apparaît sur l’autre face sous la forme airfbfrbnhn : chaque rune remplace celle qui la suit dans le fuþark.

pierre de Rök

Il arrive également que les inscriptions en fuþark récent contiennent des portions inscrites dans l’ancien fuþark comme l’on utilise en français des mots en grec ancien… c’est aussi le cas sur la pierre de Rök, toujours avec l’expression sakummukmini qui devient sagwmogmeni.

pierre de Rök

Runes secrètes

Une autre méthode pour crypter une inscription est de crypter les runes elles-mêmes. Cette pratique s’appelle en norvégien Lønnruner qui signifie littéralement « runes secrètes ». « Runes codées » en serait une meilleure traduction…

Il existe de nombreuses façons graphique de coder les runes. Elles reposent toutefois toutes sur le même principe : indique l’ætt et la position de la rune dans cet ætt. Les subtilités résident dans l’ordre choisi pour les ættir (souvent l’ordre inverse) et l’ordre des runes au sen d’un ætt (même si cela est rare).

Il est important d’avoir à l’esprit qu’à l’époque où ces runes secrètes sont utilisées, l’ancien fuþark n’est plus vraiment utilisé. On utilise plutôt des fuþarks dits récents adaptés aux différentes langues nordiques de l’époque.

Iisrunar

L’idée est ici d’utiliser une rune unique, Is en l’occurrence, représentée de deux façons différentes. Les formes longues donnent l’ætt, les formes courtes donnent la rune. On en trouve un exemple sur la pierre de Rotbrunna (Uppland, XIe siècle) où les iisrunar donnent le nom du graveur, Eirik.

pierre de Rotbrunna : 2/4 – 2/3 – 3/5 – 2/3 – 3/6 – 3/5 donc a i r i k r

Une autre forme est d’utiliser une rune sous deux formes symétriques. Sur la pierre de Rök, on en trouve une invocation à Þórr avec la rune Ihwaz dans un sens pour l’ætt, puis dans l’autre pour la rune.

pierre de Rök : 3/3 – 3/2 – 3/5 donc þ u r

Une dernière manière est d’utiliser deux runes différentes pour noter l’ætt et la rune ; comme sur la pierre de Rök, encore, où les runes du fuþark récent (à branches courtes) Oþala marque l’ætt et Sól pour marquer la rune.

pierre de Rök : 2/2 – 2/3 donc n i

Hahalruna

Les hahalruna, les runes « crémaillères », reposent sur le même principe. À gauche d’une barre verticale on note l’ætt, à droite la rune. On alterne la position haute et basse de la marque de l’ætt à chaque mot. On en trouve encore une fois des traces sur la pierre de Rök.

extrait de la pierre de Rök : 2/4 – 3/6 – 3/2 – 1/3 – 3/2 – 3/6 – 1/3 – 2/3 – 2/2 – 2/3 donc a k u m u k m i n i, la première rune semble avoir disparue, on retrouve alors la formule sakumukmini.

Cette présentation permet une grande liberté graphique.

On trouve, toujours sur la pierre de Rök, une forme portée sur une rune Gyfu. Les branches supérieures montre une rune : à gauche l’ætt, à droite la rune ; les branches inférieures montre une deuxième rune : à droite l’ætt, à gauche la rune.

pierre de Rök : 3/2 – 1/4 – 2/2 – 2/3 – 3/5 – 3/5
donc u l n i r u

Mais l’on trouve également des motifs d’homme barbu : les « poils » tombant à gauche pour l’ætt, à droite pour la rune, le nez changeant de direction pour changer de mot. On peut aussi voir des poissons : ce sont les nageoires qui donne les informations, le poisson est tourné vers le haut ou le bas pour changer de mot…

D’autres formes

On trouve aussi (sur des bâtonnets trouvés à Bergen) une forme de répétition : si une rune est répétée : deux fois, elle vaut pour la rune qui la suit dans le fuþark ; trois fois, elle vaut la deuxième rune après elle. Les photos sont disponibles ici.

image du bâtonnet NB441 : bbb bb b ll l qu’on peut lire l m b a i
image du bâtonnet NB443 : f ff fff o oo ooo h hh hhh a aa aaa b bb bbb qu’on peut lire fuþorkhniastblm

En 2014, Jonas Nordby a déchiffré le code dit jötunvillur qui utilise le nom des runes. Une rune est utilisée pour la dernière rune de son nom. Ainsi la rune Kaun y sera utilisée pour la rune n.

Pourquoi ?

La raison du recours aux runes codées ou cryptées, au-delà de la volonté de dissimulation du message à certains, n’est pas très claire…

La raison peut être purement esthétique ou ludique (une sorte de puzzle). Le graveur peut avoir voulu montrer ses compétences et ses connaissances. Il est possible que cela ait donné un pouvoir quelconque à l’inscription.

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